Temps de travail et suicide des internes. 10 ans que cela traîne, et maintenant ?

Temps de travail et suicide des internes. 10 ans que cela traîne, et maintenant ?

On pourrait certainement remonter encore plus avant mais partons du début des années 2000. La directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 de l’Union Européenne impose de «déterminer de façon objective et certaine la quantité de travail effectivement réalisée par les travailleurs et sa répartition dans le temps ». « Dix ans après, l’Europe a haussé le ton », se souvient Emanuel Loeb qui, à l’époque, était président de l’InterSyndicale Nationale des Internes (ISNI).

2013 : Bruxelles met la France en demeure

Ainsi, en 2013, la France est mise en demeure par Bruxelles de se conformer au droit européen qui impose un temps de travail hebdomadaire de 48 heures maximum. Selon une enquête nationale de l’ISNI réalisée en 2012, les internes français travaillent en moyenne 60 heures par semaine. Dans un cas sur cinq, le repos de sécurité n’est pas respecté… Les mouvements de grève pour dénoncer le blocage des discussions avec le ministère de la Santé sur la révision du temps de travail à l’hôpital, notamment en 2012 et 2014, continuent à buter sur le refus des différents gouvernements d’entendre les internes.

2021, un début d’année tragique

Avec aujourd’hui, soit presque dix ans plus tard, un bilan tragique pour cette année 2021. En effet, depuis le début de l’année, « cinq décès d’internes en médecine, soit un tous les 18 jours, sont venus endeuiller la profession et la France », rappelait Léo Sillon, médecin généraliste et premier vice-président de l’Isni lors de l’hommage silencieux aux internes qui ont mis fin à leur jour, organisé par les syndicats d’internes devant le ministère de la Santé le 17 avril dernier. Une cérémonie à l’issue de laquelle, certains membres syndicaux et proches des défunts ont été reçus par Olivier Véran. Avec quels résultats ? « Pas grand chose à part des mots de la part du ministre. Mais peut-être avons-nous été davantage entendus par l’un de ses directeurs de cabinets. Nous attendons un retour prochain », développe Léo Sillon.

Appel direct à Macron

En attendant, les parties concernées ont décidé d’interpeller directement le président de la République. Ainsi, dans une lettre datée du 14 avril, cosignée avec les deux syndicats d’internes, l’Isni et l’Isnar-IMG, et l’association des étudiants en médecine de France (Anemf), la Ligue pour la santé des étudiants et des internes en médecine (Lipseim) rappelle la gravité de la situation : « la maltraitance faite aux étudiants et jeunes médecins, problème connu depuis bien longtemps, continue à sévir, elle s’amplifie même ». « Non-respect du temps de travail, harcèlement, menaces, insultes… », la lettre énumère les violences subies par ces jeunes professionnels de santé, dénonçant « une omerta institutionnalisée, un management par la peur et une impunité systématique » et demande au chef de l’Etat « d’intervenir instamment » auprès d’Olivier Véran et Frédérique Vidal « pour déployer un Plan national pour la santé des étudiants en médecine ». L’association et les représentants étudiants réclament d'être rapidement reçus par le chef de l’État pour la mise en œuvre de ce plan national.

Le Premier Ministre et le Ministre de la Santé, sommés de répondre sur le temps de travail des internes

Vendredi 23 avril, le Conseil d’État a mis en demeure Olivier Véran et Jean Castex de répondre aux syndicats sur le respect du temps de travail des internes. Les ministres disposent désormais d’un mois pour répondre et produire leurs observations. Selon la dernière enquête de l’ISNI, 40 % des internes déclarent toujours travailler plus de 60 heures par semaine, la moyenne se situant à 58 heures hebdomadaires. Soit un (sur)volume horaire identique à celui d’il y a dix ans. Qui, de plus, s’est accentué avec la crise du coronavirus « Depuis le début de l’épidémie », souligne l’ISNI, « ils travaillent parfois jusqu’à 100 heures hebdomadaires ». Pour mémoire, la limite du temps de travail hebdomadaire des internes, tel que le prévoit le droit européen, est fixé à 48 heures…

Jeunes Médecins en action

Pour faire face à cette triste réalité, Jeunes Médecins et Action Praticiens Hôpital ont décidé, il y a deux ans, de saisir systématiquement la justice afin de faire la lumière sur tous les suicides qui surviendront parmi les praticiens des établissements de santé. « Le dépôt de plainte se fait auprès du Procureur et la juridiction compétente est le Tribunal judiciaire. Nous avons une plainte actuellement en cours, que nous suivons de près. Ces suicides ne concernent pas que les internes, mais aussi de jeunes médecins, chefs de cliniques, praticiens hospitaliers, qui étaient nouvellement en fonction », explique Maître Cornélie Durrleman, l’avocate de Jeunes Médecins

Quel avenir pour l’hôpital public ?

« La défense des conditions de travail des praticiens nous concerne tous, les internes comme les jeunes médecins. Mais aussi, au premier chef, les patients. Car comment les prendre en charge au mieux quand on abat les heures de présence sans réel temps de repos ? Ce n’est pas parce qu’on est devenu Docteur, entre guillemets, que la pression s’arrête. Avec les risques de burn-out et de tragédie possible qui vont avec », analyse Lamia Kerdjana, médecin anesthésiste-réanimatrice et présidente de Jeunes Médecins Ile-de-France. Qui déplore le manque de relai et de solidarité des générations plus âgées. « La culture de l’hôpital, reste toujours : faire face et serrer les dents », poursuit Lamia. Jusqu’au point de rupture ?

Une inquiétude que partage Anne Geffroy-Wernet, présidente du Syndicat National des Praticiens Anesthésistes-Réanimateurs (SNPHAR-E). « La crise Covid a fait que nous avons tous resserré les rangs sans bien sûr compter nos heures. Mais l’exceptionnel de cette situation, qui était déjà très tendue avant le virus, ne doit pas devenir la norme. Au-delà de la tragédie des médecins qui mettent fin à leur jour, la question se pose aujourd’hui de savoir quel est le rôle que nos dirigeants veulent assigner à l’hôpital public. Et la réponse doit arriver rapidement. Car, avec ce non-respect constant de la limite du temps de travail, la nouvelle génération va choisir la voie la plus logique et se tourner vers le privé ».


Pour plus d’information :
Vidéo Isni
Article Quotidien du Médecin du 17/10/2014




Crédit photo : iStock

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