« Pour être vraiment utile aux patients la formation doit être pluriprofessionnelle ! », Dr Jean-François Thébaut
18/06/2021
Un premier texte encadrant la recertification qui inclue le DPC va sortir au JO. Qu’en pense l’ancien président du Haut Conseil du Développement Professionnel, qui avait démissionné avec fracas de son poste l’hiver dernier pour dénoncer l’inertie du dispositif ?
Jeunes Médecins : Avec cette ordonnance, les choses sont-elles finalement en train de bouger dans le domaine de la formation professionnelle des médecins libéraux ?
Dr Jean-François Thébaut : Au moins ça avance et cela semble aller dans le bon sens. Les acteurs concernés du secteur, ceux qui pensent, comme moi, que le Développement Professionnel Continu est un vrai progrès pour la qualité et la sécurité des soins, redoutaient que ce dossier soit mis sous la pile au prétexte qu’il y a bien d’autres chats à fouetter actuellement. Le fait que le gouvernement respecte ses engagements, même avec un an de retard, est un bon signe.Mais le problème c’est qu’il n’y a rien de véritablement précis dans cette ordonnance, à part des dates 2023-2032. Tout dépendra de qui sera écrit dans le décret d’application. En gros, cette ordonnance décrit un schéma de fonctionnement, mais il reste beaucoup d’incertitudes.
Ce schéma quel est-il ?
Dr Jean-François Thébaut : Pour résumer, il devrait y avoir un Conseil national de certification périodique globale indépendant pour toutes les professions de santé concernées, c’est à dire les professions dotées d’un ordre professionnel. La méthodologie des référentiels, c’est-à-dire leur méthode d’élaboration et non les contenus eux-mêmes, sera validée par la Haute Autorité de Santé, et les référentiels produits par les Conseil Nationaux professionnels. Les Ordres devront vérifier, voire sanctionner, la satisfaction à cette obligation qui sera tracée par une « agence administrative »Quel est l’intérêt de cette certification périodique ?
Dr Jean-François Thébaut : Le seul intérêt de la certification périodique des professionnels de santé concerne les patients, et à condition qu’elle soit transparente. Afin de leur garantir une qualité des soins et une sécurité des actes. Sans cette finalité, la démarche devient purement cosmétique, pour donner en apparence une obligation de plus, qui, au fil des années, se sont ajoutées les unes aux autres sans forcément montrer une véritable efficacité.Vous faites référence à l’ancienne FMC ?
Dr Jean-François Thébaut : La Formation Médicale Continue impliquait initialement uniquement de la formation cognitive, or on sait que cette formation cognitive, comme cela a été démontré par de multiples études dont celles réalisées par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes), ancêtre de la HAS, n’est pas suffisante à elle seule pour améliorer la qualité et la sécurité des soins. Par la suite il s’y est ajouté une obligation d’évaluation des pratiques professionnelles gérée par la HAS avant l’avènement du DPC.Le passage au DPC qui a suivi a-t-il raté le coche ?
Dr Jean-François Thébaut : Pas si la quantité de formation cognitive avait réellement diminué au profit de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) et d’un certain nombre d’items, comme celui de la gestion des risques par exemple. En fait, à travers la manière dont le DPC a été conçu, notamment via son financement, on voit qu’en réalité, on a reproduit pratiquement le même système qu’avant, sauf que désormais, l’obligation est censée être contrôlée, tous les trois ans, ce qui n’avait jamais été fait réellement. Mais plus de 80% des actions menées sont toujours des actions de formation purement cognitives. De plus, depuis le début du Covid, elles ont été réalisées à distance, avec la simple reproduction à distance du modèle présentiel, sans tenir compte réellement des spécificités de l’e-learning.C’est ce qui vous a conduit à démissionner l’an dernier ?
Dr Jean-François Thébaut : Oui, nous avons en fait un système qui n’est pas conçu pour réellement améliorer la qualité des pratiques et de la sécurité des soins. Qui n’est pas conçu pour accompagner les politiques publiques de santé et les politiques conventionnelles. En fait, on gère, des budgets, de manière rigoureuse certes, avec des organismes qui continuent de développer le même modèle de formation dont on sait qu’il n’est ni efficace ni transparent : comment identifie-t-on ceux qui ne satisfont pas à cette obligation en ville comme à l’hôpital ?Comment verriez-vous un modèle de formation qui serait pertinent et efficace ?
Dr Jean-François Thébaut : Aujourd’hui, le plan « Ma Santé 2022 » date de près de trois ans. Le président de la République avait voulu axer l’essentiel des efforts sur la coordination territoriale et notamment le développement des soins primaires en coordination entre les professionnels de santé et les médecins spécialistes libéraux ou hospitaliers. Si on veut que ce système soit utile, il faut que, sur le terrain, les professionnels de santé entre eux, en équipe, puissent travailler ensemble pour faire les actions de formation et d’évaluation sous la forme qu’ils veulent, mais qui contribuent à l’amélioration de la qualité et de la sécurité. On ne fait pas ça en assistant à un congrès, même si les congrès sont indispensables pour découvrir les avancées de l’état de l’art. Pour moi, si l’on veut passer à un objet qui améliore vraiment la qualité des soins et la sécurité des patients, il faut favoriser tout ce qui peut conduire les équipes pluriprofessionnelles sur le terrain à échanger ensemble sur leurs pratiques, leurs protocoles, leurs échecs et leurs succès, etc. Et non pas seulement aller assister à des séances magistrales. Elles sont très intéressantes et utiles et il faut les maintenir, mais ce ne sont pas elles qui modifient véritablement les pratiques sur le terrain.Quelles seront les conséquences du calendrier de certification périodique contenu dans cette ordonnance qui comprend les dates de 2023 et de 2032 ?
Dr Jean-François Thébaut : Les jeunes médecins qui débuteront leur installation à partir de 2023 devront intégrer le dispositif tout de suite, les plus anciens auraient jusqu’à 2032 pour le rejoindre. Ce qui signifie qu’on laisse le temps aux prochains médecins retraités de partir à la retraite tranquillement, sans être atteints par cette obligation. Mais pour les jeunes médecins, comme pour tous professionnels de santé qui viennent de s’installer d’ailleurs, je me permets de leur conseiller de ne pas attendre neuf ans pour rejoindre ce dispositif de certification. Apprendre mieux, encore une fois, c’est apprendre ensemble parce que la prise en charge des patients n’est plus un exercice solitaire.Crédit photo : DR
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