OPA sur les spés médico techniques

OPA sur les spés médico techniques

Quand les enjeux financiers prennent le pas sur la logique du soin

Anatomie pathologique, radiologie, biologie médicale, ces spécialités de plateaux médico-techniques traversent une crise sans précédent. Jeunes Médecins a enquêté. Spoil : à la fin, ce sont les médecins et les patients qui trinquent.

Les plateaux techniques sont en train de passer sous la coupe "de grands groupes financiarisés ou de fonds d’investissements qui n’ont rien à voir avec la médecine !", s’agace une jeune médecin en anatomie pathologique :

"Ils rachètent des cabinets de médecins libéraux pour pouvoir y regrouper les spécialistes"


Sur le terrain, partout en France, des groupes proposent aux cabinets libéraux des prix de rachat exorbitants qu’aucun médecin en début de carrière n’est capable de proposer pour reprendre un cabinet. Ces groupes prennent en charge la gestion et le management de la qualité.

La conséquence de tout cela ? "Les médecins sont soit salarisés, soit associés minoritaires avec une rémunération à l’acte et donc un acte intellectuel extrêmement dévalorisé" explique la jeune médecin.

"Certains jeunes médecins gagnent moins de 3.000 euros par mois à temps plein à l’hôpital. Ils sont donc tentés par ces groupes qui proposent le même salaire mais à temps partiel ", explique la jeune praticienne.

Mais attention :

"Ces groupes insèrent une clause permettant de revoir ces rémunérations à la baisse".

Un frein à l’innovation médicale

Même constat pour la biologie médicale. Dr Lionel Barrand confie son inquiétude :
"C’est un frein supplémentaire à l’innovation médicale et technologique !"
Et le Dr Barrand d’expliquer que "la problématique principale réside dans le fait que le biologiste médical n'est plus indépendant ni maître de sous outil de travail". Ainsi :

"Ces unités financiarisées ont des moyens, mais ne vont pas investir dans la recherche technologique et médicale, c’est ici que la spécialité y perd en plus de son indépendance".


Autre cause du malaise en biologie médicale : "L’accréditation de norme qualité 100% demandée en France asphyxie la profession", déplore Dr Barrand. "Il faut que ce soit du 100% avant, pendant, après…, explique Dr Barrand, et au vu de la difficulté d’installer un nouvel automate la plupart des laboratoires de proximité renoncent ".

Résultat, le nombre de machines baisse et le délai de traitement des dossiers s’allonge pour le secteur libéral. "C’est une des raisons pour lesquelles les urgences sont engorgées : le médecin généraliste est au courant des délais de traitement en libéral. S’il a un doute pour une question qui peut être inquiétante ou mortelle, il envoie aux urgences pour être sûr que son patient sera traité rapidement avec les résultats de spécialité qui sont nécessaires à la décision médicale."

Les radiologues libéraux bientôt dans la tourmente

La radiologie libérale s’en sort pour l’instant mieux que les autres spés médico-techniques. Une impression qui permet au Dr Antoine Perrey, radiologue en assistanat à Clermont-Ferrand, d’asséner:

"Nous sommes bien dotés car nous sommes un secteur qui rapporte de l’argent [à l’hôpital, ndlr]!"


Seulement, la radiologie n’échappe pas au mouvement qui emporte toutes les spés médico-techniques. "Nous sommes très vigilants à ce que la spécialité ne soit pas financiarisée comme la bio ou l’anapath", promet Dr François Petitpierre, du CHU de Bordeaux. Car c’est ce qui se profile également pour la radiologie.

Les cabinets de radiologues en départ à la retraite sont également scrutés par les fonds d’investissements pour les racheter à prix d’or. "Cela n’est pas encore effectif, ou bien juste à Paris", détaille le praticien en radiologie, Dr Petitpierre.
Autre menace pour la profession : l’intelligence artificielle. "On se demande quelle place elle va prendre et si à terme, elle va menacer la spécialité ou non", s’alarme le radiologue. La spécialité veille au grain face à ces menaces.

L’Assurance maladie veut la peau des spés médico-techniques

Depuis des années, la Sécurité sociale ne cesse de demander une réduction des coûts liés aux plateaux médico-techniques. Sur les 5 dernières années, l’Ondam, l’enveloppe générale attribuée par la Sécurité sociale aux besoins médicaux, prévoyait une augmentation annuelle de 2,3%, contre seulement 0,25% pour la biologie, par exemple.

Début juillet, les biologistes ont même dû claquer la porte des négociations avec l’Assurance maladie : la Cnam leur demandait une baisse de 180 millions d’euros de budget, uniquement pour la biologie médicale !

Quant à la radiologie, une "décote régulière des actes en radiologie libérale depuis 10 ans a été mise en place", explique Dr Petitpierre. Et pour cause, la Fédération Nationale des Médecins Radiologues (FNMR) estimait l’an dernier cette baisse des tarifs à 1 milliard d’euros sur cette période ! Ce même représentant de la spécialité, s’est récemment félicité de l’accord signé en juillet 2019 qui ne prévoit… que 207 millions d’économies sur 3 ans…

Des spécialités de moins en moins attrayantes


Toutes ces difficultés au sein des spécialités du plateau médico-technique ont fait chuter drastiquement l’attractivité de celles-ci. "En 2008, il fallait être classé dans la première moitié à l’ECN ; en 2018, il suffisait d’être nettement moins bien classé pour accéder à cette spécialité", constate la jeune médecin en anapath.

Quant à la biologie médicale, même constat : En 2008, le dernier poste attribué était à la 2895ème place. "Aujourd’hui, la biologie médicale est choisie en tout dernier", déplore le Dr Barrand.

La radiologie tient toujours le haut du pavé. "Le dernier poste de radiologie disponible à l’ECN est, en général, en dessous des 2000 premiers classés sur 8000", précise Dr Petitpierre.

Les patients payent la note

"Ça va faire baisser la qualité des soins !", s’agace le Dr. Barrand ! Selon le biologiste strasbourgeois, la financiarisation conjuguée à la baisse continue des budgets alloués aux spés va avoir plusieurs impacts graves pour les patients :

"Les délais de traitements des examens médicaux vont s’allonger et ce sera le patient qui trinquera à la fin"

Et pour cause, « les décisions sont parfois prises dans l'intérêt des actionnaires des fonds d'investissement au capital et non du patient ».

Et à la fin, ça se termine aux urgences

Conséquence de tout ça : vu que les temps de délais en libéral vont devenir trop importants, "le médecin généraliste pour lever un doute enverra systématiquement son patient aux urgences car ces unités n’ont pas voulu investir dans un automate d’urgence", prévient Lionel Barrand : "Et c’est déjà le cas, puisque les urgences sont engorgées".

Au final, le patient paye la note deux fois : "le patient aura une qualité de soins médiocre" sans pour autant que ses cotisations à la sécu et à la mutuelle, elles, ne baissent.

Jérémy Pastor

Pas encore adhérent ?

Faites partie de la communauté des Jeunes Médecins

  • > Faites-vous entendre et participez au renouveau de la profession
  • > Profitez des offres et des avantages réservés aux adhérents
  • > Participez aux événements dans votre région