Mais pourquoi tant de lits restent-ils vides dans les cliniques privées ?

Mais pourquoi tant de lits restent-ils vides dans les cliniques privées ?

Le fact check de Jeunes Médecins #1

Dans établissements privés, les 4000 à 5000 lits libérés pour faire face à la pandémie restent vides dans leur majorité. Dans le public comme dans le privé, on s’interroge sur cette situation. Mauvaise volonté ? La réponse vient des ARS qui ont mis en place une hiérarchisation des établissements, par encore connue de tous.


"Mercredi, sur toutes nos cliniques, nous n’avions que 20 lits de réanimation remplis par des patients covid et une centaine en médecine", explique, dubitative, Pénélope De Fouquieres, la responsable de la communication du groupe Elsan. Pourtant ce groupe de cliniques privées compte 120 établissements dans toute la France, majoritairement en régions.

De la même manière, de nombreux soignants restent dans l’incompréhension devant les lits laissés vacants dans les hôpitaux privés. Sur Twitter, des témoignages comme celui de @garance179 tournent depuis ces derniers jours :



Les soignants ne comprennent pas pourquoi les lits du privé restent vides


Du côté de l’hôpital public, c’est l’effet miroir : beaucoup dénoncent l’impossibilité d’envoyer des patients dans le privé. Dans un article de Ouest-France ce mardi, Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF, hôpitaux publics), déclarait que certaines cliniques "ont renâclé à prendre des patients". Même son de cloche sur France Inter, où s’est exprimé Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital parisien public Georges-Pompidou : "On perçoit souvent des réticences lorsqu’on propose des malades".

Des reproches qui mettent en rogne Romain(1), praticien dans une clinique privée des Yvelines. Dans son établissement, une dizaine de lits ont été réservés à l’activité de cardiologie urgente. Mais les soignants ne voient aucun patient arriver : "On nous a demandé de prendre en charge la cardio pour délester les hôpitaux publics, mais on ne nous envoie personne ! C’est complètement aberrant", lâche-t-il avant d’ajouter : "On ne sait pas quoi faire de ces lits mais on ne peut rien faire, on obéit aux directives de l’ARS..."

4000 à 5000 lits du secteur privé ont été libérés


À la demande des Agences régionales de santé (ARS), 100.000 interventions chirurgicales non urgentes ont été déprogrammées la semaine dernière dans les cliniques. Cela a permis de libérer 40 à 60 lits par établissement, soit 4000 à 5000 lits au total, selon les chiffres fournis par la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP).

L’ARS à la manoeuvre pour hiérarchiser les hôpitaux


Si ces lits sont disponibles, la prise en charge des patients reste encadrée par la mise en place du plan blanc. (Voir dernière partie de l'article)

Dans ce cadre, une hiérarchie a été établie entre les hôpitaux publics et privés : les hôpitaux de première, deuxième et troisième ligne. Sur Twitter, un document détaillant cette répartition a été publié par l’ARS d’Île-de-France :



Dans un article du Huffpost, l’ARS Île-de-France apporte des précisions sur les choix qui ont mené à cette hiérarchie : "En première ligne, nous avons priorisé les hôpitaux publics car ce sont des structures qui disposent d’un service d’urgences et qui accueillent un siège du Samu, ce qui ne peut pas se trouver dans le privé. Ce sont les structures qui ont les moyens les plus importants qui sont postées en premier et qui prennent les cas les plus graves. Ensuite viennent les cliniques".

En Île-de-France, les cliniques remplies de patients Covid


La clinique de Romain fait partie des établissements de deuxième ligne. Donc, même si elle ne reçoit pas de patients en cardio, elle tourne à plein régime pour lutter contre l’épidémie. Pour l’instant, 52 patients atteints du Covid 19 y sont soignés, dont 10 en réanimation. "On entend beaucoup que les cliniques ne participent pas aux soins des Covid, mais c’est faux !", martèle Romain.

Une situation similaire est décrite par Thomas(1), médecin urgentiste dans un hôpital privé de deuxième ligne de Seine-Saint-Denis : "On reçoit énormément de patients covid, on déborde." Une situation spécifique à l’Île-de-France et "un exemple à suivre", selon la FHP : "Il y a sollicitation de tous les acteurs par l’ARS avec une information partagée par tous les établissements, quel que soit leur statut... Les cliniques accueillent de nombreux patients covid dans leurs services de réanimation."

Dans le Grand-Est, plusieurs centaines de lits vides


Malgré cette répartition définie par le plan blanc, tout n’est pas clair pour les équipes des cliniques. Dans le Grand-Est, mercredi 25 mars, 150 lits de réanimation étaient disponibles pour les cas Covid dans les hôpitaux publics et privés, avec une possibilité de création de 300 lits de réa supplémentaires. "Vu la situation dans l’Est, c’est difficile de comprendre pourquoi ces lits restent vides. D’autant plus alors que des patients sont transférés vers d’autres régions", note la responsable de la communication du groupe Elsan, perplexe.

En tous les cas, quelle que soit leur place dans la hiérarchie du plan blanc, les cliniques restent mobilisées et prêtes à accueillir les patients. Pour la FHP, "ce qui prime avant tout est de mener cette guerre contre la pandémie tous ensemble, public, privé, associatif, médecins libéraux… Les circonstances nous imposent plus que jamais d’être unis et solidaires".

Le plan blanc


Contactée par Jeunes Médecins, l’ARS Île-de-France résume les trois types de catégories mises en place par le plan blanc.

“Les établissements de santé en IdF ont été classés en fonction de leurs capacités et de leur habilité à recevoir du patient covid :

4 établissements de première ligne (établissements de soins de référence)
Etablissements de référence pour la prise en charge des patients dans le cadre du risque épidémique et biologique connu ou émergent (dispositif ORSAN-REB). Ils disposent d’un plateau technique hautement spécialisé et d’un recours permanent à un infectiologue. Ils permettent la prise en charge des patients classés « cas confirmés » dans des conditions de sécurité maximales au sein de services de maladies infectieuses et tropicales et/ou de réanimation.

94 établissements de deuxième ligne
Ce sont les établissements opérationnels sur toute ou partie de la filière de prise en charge de patients Covid-19 ; Répartis sur l’ensemble de la région, ce sont les établissements siège de SAMU, établissements disposant d’un service d’urgence et de capacités d’hospitalisation notamment en soins critiques pour les patients graves, établissements de santé disposant d’un service d’urgence et de capacités d’hospitalisation en médecine qui peuvent être en 1ère ligne dans l’accueil de Covid-19 spontanés aux urgences. Ces établissements mettent en place une organisation spécifique en cas d’épidémie de Coronavirus.

152 établissements de troisième ligne
Ces établissements ne prennent pas directement en charge des patients Covid-19 mais participent à l’aval des autres. Ce sont des établissements de santé MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) et SSR (services de soins et de réadaptation) pouvant participer à l’aval des établissements impliqués dans la prise en charge directe et indirecte de patients COVID-19.”


(1) Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

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