Lettre de Jeunes Médecins aux parlementaires dans le cadre de la PPL Valletoux

Lettre de Jeunes Médecins aux parlementaires dans le cadre de la PPL Valletoux

Les points de vigilance de Jeunes Médecins - PPL Valletoux


Madame la Députée,
Monsieur le Député,

La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a examiné et débattu cette semaine de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels de santé, dite « PPL Valletoux ». Jeunes Médecins a pris connaissance du texte issu des premiers travaux de la commission qui se sont tenus jusqu’à ce mercredi soir.

Cette proposition de loi nous semble de nouveau être une occasion manquée d’améliorer l’accès aux soins et les conditions de travail et de prise en charge des patients. Il y a, selon nous, un paradoxe à vouloir, dans le même temps, interdire l’intérim médical des jeunes sans fidéliser les médecins hospitaliers, constater que 45% des médecins généralistes sont en burn-out sans libérer de temps médical et augmenter au contraire leur activité, constater que le système de santé est complexe, suradministré, trop centralisé mais n’en supprimer aucun échelon de décision, compter sur une main d’œuvre étrangère bon marché sans donner le statut plein et entier aux médecins étrangers déjà installés et sans augmenter les moyens pour la formation des jeunes médecins dans tous les départements.

L’équipe de Jeunes Médecins souhaitait ainsi vous partager ses points de vigilance sur plusieurs mesures du texte actuel :

L’article 4, modifié par l’amendement AS772, prévoit désormais que la permanence des soins doit reposer sur les établissements publics et privés et sur les médecins qui y travaillent, y compris les professionnels libéraux liés par un contrat. Instaurer la permanence des soins obligatoire aux praticiens libéraux aura des conséquences graves. Alors que l’activité libérale est déjà saturée et fragile et que les médecins libéraux n’ont pas de repos de sécurité les lendemains de garde, cette nouvelle obligation risque de désorganiser complètement la médecine libérale qui absorbe un grand nombre de demandes en santé de la population. Par ailleurs, faire assurer des gardes par des médecins libéraux dans des établissements dont ils ne connaissent pas le fonctionnement, risque de mettre en danger les patients. Enfin, cette obligation mettra un point d’arrêt à l’exercice mixte (libéral / salarié) pourtant si utile à nos territoires. Jeunes Médecins souhaite la suppression de cet article.

L’article 7 interdit l’intérim médical à tous les professionnels médicaux et paramédicaux en début de carrière. Il est dommageable que la mesure proposée ne s’applique pas à l’intérim des professionnels plus âgés, plus expérimentés, et dont les contrats sont potentiellement plus onéreux. Cela conduit à une discrimination des jeunes, dont il n’est jamais démontré qu’ils « abuseraient » du système intérimaire, qui leur permet souvent de compléter la paie de l’hôpital, de soulager les équipes de certaines structures, de découvrir de nouveaux territoires et établissements, et de gagner en expérience. La meilleure manière de réduire l’intérim c’est d’investir davantage dans l’hôpital public en rendant attractives les carrières hospitalières, en accompagnant les jeunes générations dans la prise de responsabilités au sein de l’hôpital, en favorisant la titularisation des professionnels contractuels. Jeunes Médecins souhaite la suppression de cet article et vous invite à soutenir des mesures favorisant l’attractivité des carrières hospitalières pour la jeune génération. Ainsi, Jeunes Médecins demande :

- que les praticiens contractuels puissent accéder à l’indemnité d’engagement de service public exclusif (IESPE), une indemnité valorisant la présence à l’hôpital lorsqu’elle est exclusive (pas d’exercice professionnel mixte), mais actuellement non accessible aux praticiens contractuels. En effet, les médecins peuvent rester engagés à l’hôpital sous contrat pendant de nombreuses années (si aucune titularisation n’est proposée), et l’impossibilité de bénéficier de cette indemnité favorise la recherche d’un complément de revenu hors hôpital.
- que la permanence des soins soit revalorisée pour les praticiens libéraux et hospitaliers (calquée sur la rémunération des praticiens hospitalo-universitaires), qu’elle commence le samedi matin, que les gardes de 12h soient généralisées en lieu et place de celles de 24h (la longueur de ces gardes les rendant aujourd’hui très contraignantes et dangereuses pour la santé des praticiens comme pour la sécurité des soins aux patients).
- que la clause de non-concurrence soit revue, afin d’éviter que de jeunes médecins dégoûtés par l’exercice hospitalier ne puisse pas continuer à exercer sur le même territoire. Dans les territoires sous-dotés comme dans les grandes villes, cette clause conduit des jeunes praticiens éprouvés par un exercice à l’hôpital (dont on connait les tensions) à ne pas pouvoir exercer dans le même Département, alors que les besoins y sont évidents. La clause de non-concurrence dessert avant tout les patients, qui se voient privés des compétences de professionnels de santé conduits à quitter un territoire pour continuer à exercer.
- que la 4e année d’internat en spécialité médecine générale créée par le PLFSS 2023 soit supprimée, ou rendue facultative, et au profit de la réalisation d’une option. Les étudiants en médecine générale n’ont pas besoin d’une année supplémentaire d’internat pour être de bons médecins généralistes. Aussi, cette quatrième année devrait rester une année réalisée sur la base du volontariat – permettant ainsi à ceux qui veulent s’installer et exercer de ne pas repousser ce moment – et permettre aux étudiants en spécialité de médecine générale de mettre cette année supplémentaire de formation au profit d’une option (ophtalmologie - dermatologie - psychiatrie – gynécologie – pédiatrie – médecine d’urgence …). Comme l’a montré une enquête de l’ISNI cette proposition rendrait cette quatrième année plus attractive pour les étudiants qui pourraient se former un peu plus spécifiquement selon leurs centres d’intérêts. Cette proposition favoriserait le lien entre la médecine de ville et la médecine hospitalière et entre la médecine générale et les autres spécialités. Par ailleurs, compte tenu de la difficulté pour les patients tant d’accéder à un médecin généraliste que de bénéficier d’une consultation de premier recours dans une autre spécialité, cette proposition serait susceptible d’améliorer le conseil, la prévention et le dépistage et donc la prise en charge de nos concitoyens sur les territoires. Pour donner plus d’impact à cette proposition, il est nécessaire que le Gouvernement augmente le contingent des étudiants en médecine générale dès la rentrée de l’année universitaire 2023, de manière à ce que 70% d’étudiants soit orienté vers la spécialité de médecine générale à l’issue des épreuves de classement national (ECN) et 30% vers les autres spécialités. En effet, aujourd’hui, nos concitoyens ont avant tout besoin d’un médecin généraliste, qui puisse être le premiers recours du patient (y compris sur certaines sollicitations ophtalmologiques, dermatologiques, gynécologiques, pédiatriques, etc.), et puisse décider de l’orienter si nécessaire, après évaluation de son besoin, vers un spécialiste. Il est étonnant de constater que dans le même temps, on considère qu’il faut 10 ans pour former un spécialiste de médecine générale montrant la complexité de la prise en charge des soins de premiers recours, et on souhaite transférer des compétences inhérentes au métier de médecine générale à des professionnels dont la formation équivaut au grade master. De ce point de vue, Jeunes Médecins rappelle que l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée en activité libérale entraine un grave risque de concurrence déloyale et une dégradation de l’offre de soins. Il faut d’abord sécuriser leurs missions et permettre un exercice exclusivement en salariat au sein de maisons de santé tenus par des médecins.
- que la consultation de médecine générale soit revalorisée fortement. En effet, la consultation de médecine générale est aujourd’hui celle qui est la moins rémunératrice alors même qu’elle nécessite un fort investissement intellectuel. Quand on sait qu’il existe une corrélation forte entre le choix des spécialités et le niveau de rémunération, il n’y a rien d’étonnant à ce que la médecine générale soit moins choisie par les étudiants. C’est un rattrapage nécessaire pour rendre un métier aux contraintes administratives fortes plus attractif, mais également pour revaloriser le choix de l’exercice en secteur 1.

Jeunes Médecins vous invite également à soutenir l’attractivité de l’exercice libéral. En ce sens, il est dommageable que les amendements portant suppression de certificats médicaux obligatoires (pour congé enfant malade ou pour de courts arrêts de travail), susceptibles de libérer du temps médical, aient été rejetés. Jeunes Médecins demande également :

- la mobilisation des fonds de l’Assurance maladie (CNAMTS) ou le fonds d’intervention régional (FIR) en soutien des projets immobiliers portés par les professionnels de santé. La question immobilière est prégnante dans le processus d’installation d’un professionnel de santé et dans la répartition équitable des services et équipements de santé sur le territoire. Dans de nombreuses grandes villes, acquérir un bien immobilier pour lancer son activité libérale est devenu extrêmement difficile. Cet obstacle ne favorise pas le choix d’un exercice libéral chez les jeunes médecins. En milieu rural, la réglementation Zéro artificialisation des sols (ZAN) pourrait également complexifier l’acquisition de foncier pour des projets de santé. Il est ainsi proposé que l’État et les collectivités territoriales puissent accompagner les professionnels de santé libéraux dans leurs projets immobiliers, notamment par la mobilisation du fonds d’intervention régional (FIR). Ce fonds pourrait notamment soutenir des projets de transformation des hôpitaux de proximité, dont on peine aujourd’hui à assurer financièrement et humainement le fonctionnement, en pôles techniques ambulatoires gérés par les professionnels libéraux au sein des CPTS. Ce fonds pourrait également soutenir la création d’un fonds d’investissement immobilier, abondé par les professionnels libéraux, pour faciliter leur accès à des locaux. Ce fonds pourrait enfin favoriser la cession d’immeuble ou de foncier à bas coûts par les collectivités et l’État dès lors que c’est au bénéfice d’un projet de santé sur le territoire.
- la mise à disposition d’une plateforme numérique en santé. Aujourd’hui, les professionnels de santé et leurs patients se trouvent dépossédés de leurs usages et de leurs données dans le domaine médical. La situation quasi-monopolistique de la société Doctolib doit interpeller. Il est souhaitable que l’Assurance maladie puisse offrir les mêmes services numériques en santé que ce type de société. Une PPL demandant la nationalisation de Doctolib a été déposée en décembre 2022. Cette nationalisation coûterait plus cher à l’État que le développement de son propre service.

L’équipe de Jeunes Médecins souhaitait vous partager ces quelques points de vigilance et ces propositions.

Notre modèle a besoin d’une réforme en profondeur, mais personne n’a eu le temps ni le courage de la préparer durant la dernière décennie : ni la profession, ni ses représentants syndicaux, ni les pouvoirs publics. Néanmoins, notre génération porte régulièrement des propositions qui la démarque. La refonte des ordonnances Debré pour mettre fin au système hospitalo-universitaire sclérosé, la redéfinition des missions des établissements publics et privés de santé pour arrêter la concurrence malsaine, un investissement majeur dans la médecine de premier recours qui pourrait bénéficier de l’orientation de la plus grande part des étudiants en médecine, etc., sont autant des propositions issues de notre livre blanc.

Nous remercions l’ensemble des parlementaires qui prennent conscience du risque que la situation empire si des mesures coercitives sont adoptées par l’Assemblée nationale, car l’épuisement professionnel des médecins est une réalité, et l’augmentation des contraintes conduiront à de nombreux changements de vocation professionnelle. Vous ne pourrez pas en demander plus à ceux qui ne peuvent plus en donner davantage.

Toute l’équipe de Jeunes Médecins reste à la disposition des parlementaires intéressés par ces questions.

Emanuel Loeb
Président de Jeunes Médecins
president@jeunesmedecins.fr

Mélina Elshoud
Directrice des affaires publiques
07 56 99 63 37
jm.aff.publiques@gmail.com

Crédit photo : geralt

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