Réagissant au sondage* de Jeunes Médecins, le Dr Martin Blachier estime que la mise en œuvre, en septembre, d’une vraie politique de protection des personnes vulnérables aurait pu éviter le recours à un deuxième confinement.

Jeunes Médecins : Ce reconfinement généralisé était-il la seule solution possible ?

Dr Martin Blachier : Il est très important parce qu’il faut casser cet emballement qu’on a eu ces derniers jours. Il était difficile de faire autrement que de procéder à un confinement relativement strict sur une courte durée.

Mais n’aurions-nous pas pu développer en amont une politique de protection des populations vulnérables ?

Dr M. Blachier : Si les pouvoirs publics avaient mis en place une vraie politique de protection de la population vulnérable à partir de septembre, les services de réanimation ne seraient sans doute pas pleins aujourd’hui. C’est quasi-certain.

Que se passe-t-il aujourd’hui pour les soignants. Vont-ils se retrouver face à une immense seconde vague, ou peut-on espérer que ce deuxième reconfinement suffise ?

Dr M. Blachier : Oui, ils vont se retrouver face à une vague similaire à celle que nous avions eue en mars-avril, on le sait. Parce qu’on connaît les courbes de contamination et les populations qui ont été touchées. Ce qui signifie que nous aurons environ 6 000 personnes en réanimation mi-novembre. Nous allons avoir une vraie vague de Covid mi-novembre.

Sans tirer sur l’ambulance et les choix des pouvoirs publics, comment expliquer que nous soyons aujourd’hui face à cette réalité ?

Dr M. Blachier : Une fois le confinement terminé au début de l’été, les gens ont repris leurs attitudes d’avant la crise Covid. Ils ne se sont pas protégés, ils n’ont pas limité leurs rapports sociaux. En fait ils ont cru que la distanciation physique et le lavage des mains suffisaient alors qu’en fait cela a un impact très faible, beaucoup moins que ce qu’on avait imaginé. Si les gens avaient réduit de 30% leurs contacts sociaux et que la population vulnérable se soit particulièrement protégée, on n’en serait pas là.

Pourrons-nous passer Noël en famille ?

Dr M. Blachier : Je ne crois pas qu’en décembre nous serons au sommet d’une nouvelle vague. Ce qui est le plus probable, c’est que ce deuxième confinement dure, en effet, pendant plusieurs semaines, mais que le gouvernement autorisera la population à retourner voir sa famille pour Noël. Noël entièrement confiné, je n’y crois pas.

Comment mesurer la cinétique de la décroissance de l’épidémie ?

Dr M. Blachier : Les hospitalisations seront le véritable juge de paix, sachant qu’il s’agit d’un marqueur qui est plus lent que celui des contaminations. A partir du moment où l’on prend la mesure des contaminations, on met 7 à 10 jours minimum pour avoir le résultat, sur les hospitalisations, c’est plutôt entre 15 jours et 3 semaines. C’est là qu’on en verra, ou non, l’efficacité.

Et en termes de facteurs de reproduction du virus à l’issue de ce deuxième confinement ?

Dr M. Blachier : Le fameux R effectif. Ce sont des scénarios qui sont faits par l’Institut Pasteur et par des modélisateurs, où l’on étudie la prévision de diminution des cas. R étant le facteur de reproduction. De façon pratico-pratique à R1, on estime qu’on se stabilise, et dès que R descend en-dessous de 1, on considère que cela commence à diminuer, et plus le R se rapproche de 0, plus on descend vite. Le « base case scenario », celui de référence que retient l’Institut Pasteur et que je trouve un peu pessimiste, c’est un R qui sera à 0,9, c’est-à-dire plutôt une baisse assez lente. Et ils estiment que dans le meilleur des cas, on en aurait un à 0,7, sachant qu’on a fait un confinement basé sur ce qu’a fait l’Irlande. Et dans le pire des cas, ils ont un scénario qui ne passerait même pas en-dessous de 1. Sachant qu’avant de se confiner le R était à 1,4 mais on s’est confiné à un moment où l’on n’arrivait pas à estimer le niveau du R après le couvre-feu.

Donc on ne sait pas véritablement si le couvre-feu a été efficace ?

Dr M. Blachier : C’est l’une des vraies questions. Globalement, dans les dix prochains jours, soit ça commence à descendre, ce qui voudra dire que le couvre-feu permet d’avoir un R en-dessous de 1. Ce qui serait une très très bonne nouvelle. Nous aurions alors une stratégie de sortie : on pourra se déconfiner, passer en couvre-feu et protéger la population vulnérable. Si ça ne baisse que dans dix jours, cela veut dire que le couvre-feu ne permet pas d’avoir un R en-dessous de 1, et qu’uniquement le confinement le permet. Ce qui serait vraiment inquiétant.

En parlant de stratégie de sortie, quel regard portez-vous sur les choix de Jean Castex, qui avant de devenir Premier ministre, était le Monsieur déconfinement du gouvernement E. Philippe ?

Dr M. Blachier : Personnellement, je pense que le déconfinement n’a pas été mal fait. Mais que l’été a fait un peu oublier les choses. Son effet protecteur, qui est maintenant quasiment avéré, a baissé le rythme des contaminations dans un ratio situé entre 30% et 40%, ce qui est considérable. L’erreur n’a pas été dans le déconfinement mais dans les choix faits à la rentrée où l’on aurait dû, à ce moment, prendre des mesures de protection des personnes les plus vulnérables. Ce qui aurait évité d’engorger les hôpitaux et nous aurait laissé le temps de réagir envers les contaminations sans bloquer la totalité du pays.

Afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs, que préconisez-vous en cas de déconfinement mi-décembre ?

Dr M. Blachier : Trois choses.
- La première, c’est que le gouvernement travaille sur un "plan population vulnérable". Cette frange de nos concitoyens est celle qui risque le plus de se retrouver à l’hôpital, d’autant plus qu’elle est aussi fragile pour d’autres aspects que le seul coronavirus. Il y a un réel effort de pédagogie à faire.
- La deuxième chose, c’est de réfléchir à une manière d’empêcher les rassemblements clandestins des personnes plus jeunes qui sont les gros propagateurs de l’épidémie.
- Enfin, je pense qu’il faut revoir totalement la politique de tests en arrêtant le tester-tracer-isoler, qui, à cause du nombre de cas aymptomatiques, équivaut à une passoire. Et organiser des campagnes de testing massives type, avec pour ambition de tester 100% d’une zone en moins d’une semaine. Imaginons qu’on ait une envolée quelque part en France. On demande aux gens, pendant une semaine, de limiter leurs déplacements, en même temps on les teste tous. Et tous les cas positifs sont assignés à résidence pendant 7 à 14 jours.

Enfin, que peut-on espérer pour 2021 ?

Dr M. Blachier : Certainement un vaccin ou un traitement d’ici l’été, mais globalement, on peut estimer que cette crise Covid, du moins telle qu’on la subit aujourd’hui, durera a minima jusqu’à l’été prochain.

* Consultez le sondage Jeunes Médecins

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