Hôpitaux : « L’alimentation est un élément majeur de santé et de guérison, un enjeu majeur de santé publique »
Tribune Jeunes Médecins
23/04/2021
Le médecin Lamia Kerdjana plaide, dans une tribune au « Monde », pour que les hôpitaux français prennent au sérieux la question de la malbouffe et que l’option végétarienne soit mise au centre des débats.
Dans le cadre du projet de loi Climat et résilience, l’option végétarienne hebdomadaire pour l’ensemble de la restauration collective sous la responsabilité de l’État et servant déjà plusieurs choix de menus a été votée. Ce texte va passer au Sénat en juin avant son adoption définitive.
En tant que médecins, nous devons nous aussi nous saisir du sujet, en dehors de tout lobby, en nous fondant sur les données acquises de la science. En effet, l’alimentation est un élément majeur de santé et de guérison, un enjeu majeur de santé publique.
La dénutrition concerne un patient sur deux à l’hôpital, de 15 % à 30 % des enfants malades, 40 % des malades atteints de cancer, et plus de 65 % des personnes âgées hospitalisées en long séjour. Or, la dénutrition en milieu hospitalier influe sur l’évolution de la maladie, la rapidité de cicatrisation, la tolérance aux médicaments, la survenue de complications infectieuses, et la mortalité. Par ailleurs, la dénutrition majore le coût de l’hospitalisation de plus de 1 000 euros.
Jusqu’à 40 % des patients ne finissent pas leur assiette, avec un gaspillage alimentaire important. En effet, lorsque les plats ne sont pas savoureux, les personnes hospitalisées, qui ne mangent pas de viande pour des raisons philosophiques, confessionnelles ou de goût, sont parfois contraintes de ne rien manger du tout.
Favoriser la cuisine sur place
Par conséquent, leurs apports protéiques sont inadaptés. La production des repas dans le secteur médico-social étant centralisée, avec des contraintes liées à la remise en température des plats, la qualité gustative n’est pas au rendez-vous.
Le constat de gaspillage alimentaire est omniprésent dans la restauration collective. A l’instar de la restauration dans les hôpitaux, les services de restauration collective du service public souffrent de la malbouffe, que ce soit dans les cantines scolaires ou dans les prisons. Il est donc urgent de favoriser la cuisine sur place, avec des circuits courts et des produits de qualité.
En France métropolitaine, le manque de fruits et de légumes frais, de fibres, et la surconsommation de viandes rouges constituent l’un des principaux facteurs de risque en matière d’apparition de cancers. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé la consommation de viandes transformées, dont la charcuterie, comme cancérogène pour l’homme et la consommation de viandes rouges (correspondant à l’ensemble des viandes de boucherie, hors volaille) comme probablement cancérogène.
La consommation de viande et de charcuterie contribue à près de 5 600 nouveaux cas de cancer
colorectal en 2015 (1,6 % de l’ensemble des cas de cancer). Par ailleurs, la consommation d’aliments
d’origine végétale et riche en fibres diminue le risque de cancer colorectal, est associée à la réduction
du risque de surcharge pondérale, facteur directement associé au risque de quatorze localisations de
cancer. La consommation de ces aliments est inférieure aux recommandations pour la majorité de la
population française.
Limiter la viande rouge
Pour les personnes les plus défavorisées, les études scientifiques montrent que l’accès à des fruits et légumes frais ainsi qu’à des légumineuses (lentilles, pois chiches, etc.) est plus difficile que pour les personnes de niveau socio-professionnel élevé. La cantine scolaire et la restauration à l’hôpital doivent apporter une réponse à cet enjeu sanitaire et social.
Pour les adultes, selon le Programme National Nutrition Santé, il est recommandé de limiter la consommation de viandes rouges à moins de 500 g par semaine (cela correspond à 4 steaks de 125 g), de privilégier la volaille et d'alterner avec poissons, œufs et légumes secs, et de limiter la consommation de charcuteries à moins de 150 g par semaine.
Il est aussi recommandé de consommer au moins 2 fois par semaine des légumes secs (lentilles, haricots rouges, pois chiches…), au moins un féculent complet par jour (pain complet, riz complet, pâtes complètes…) et au moins 5 fruits et légumes par jour, par exemple 3 portions de légumes et 2 fruits.
S’agissant des enfants, la Société Française de Pédiatrie recommande : "Les aliments protéiques ne devraient être proposés qu'une fois par jour et en quantité adaptée (ex 5 g à 6 mois, 20 g à 12 mois)..." pour les enfants de 0 à 3 ans. Selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé, pour les enfants de 3 à 7 ans, les apports en viande doivent être limités à la moitié des apports des adultes. Pour les enfants de 7 à 11 ans environ, la taille des portions doit être d'un tiers inférieure à la taille de portion d'un adulte (donc 333 g/semaine donc 47 g/j). Ce n'est qu'à l'adolescence que les besoins protéiques atteignent ceux des adultes.
Formation insuffisante
Ces recommandations ne sont actuellement pas suivies du fait d’une formation insuffisante sur la thématique nutritionnelle. En ce sens, les amendements proposés par les députés concernant la formation des professionnels de cuisine mais aussi des professionnels de santé sont indispensables.
Aujourd’hui, une grande partie des viandes servie en restauration collective est importée. Or, de nombreuses études montrent que la diversification des sources de protéines permet de dégager du budget pour acheter de la viande française de meilleure qualité. Cela favorise les circuits courts et valorise la filière française. C’est bon pour la planète, pour les éleveurs et pour les consommateurs (y compris les malades) et donc in fine, va dans le sens d’une diminution des dépenses de santé.
Par ailleurs, la Défenseure des Droits a rappelé que l’option végétarienne dans les cantines est d’autant plus importante pour les publics captifs comme dans les prisons. Il serait également intéressant de soulever la question de l’option végétarienne pour les personnels des armées qui n’y ont actuellement pas accès.
Il est donc important de dépassionner le débat public et de rappeler que les enjeux sanitaires reposent sur la diversification des sources de protéines et l’option végétarienne quotidienne est intéressante au regard des besoins nutritionnels de la population française.
Dr Lamia Kerdjana, anesthésiste-réanimatrice hospitalière, Présidente de Jeunes Médecins Île-de-France, chargée des questions de santé environnementale.
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