Harcèlement moral et sexuel : le chemin de croix des internes et jeunes médecins de Caen

Harcèlement moral et sexuel : le chemin de croix des internes et jeunes médecins de Caen


Des injonctions au silence, des victimes qu’on isole et qu’on humilie, des projets et des carrières professionnels qu’on fait sauter d’un claquement de doigt, de la peur distillée partout et tout le temps ; telle a été la terrible réalité de dizaines d’internes et jeunes médecins à Caen des années durant.

« On nous a demandé que cela reste vraiment en interne car "les ressources humaines sont rares" »


Quand ils ont commencé à s’inquiéter des comportements anormaux (des blagues sexuelles « toute la journée, tous les jours », des propos racistes et homophobes, des commentaires rabaissant voire humiliant), les victimes et les témoins ont été sommés par d’autres collègues (y compris un chef de service) de ne pas ébruiter les faits, car « les ressources humaines sont rares », ce qui sous-entendait qu’il ne fallait pas se priver de personnalités influentes et qui publient des articles scientifiques, quels que soient par ailleurs leurs façons d’agir avec les autres.

Une injonction au silence complètement et volontairement déconnectée de la souffrance endurée par les victimes, comme si c’était elles qui « dérangeaient », qui portaient atteinte au bon fonctionnement du service.


Des internes et jeunes médecins au CHU de Caen ont dû arrêter leurs travaux de recherche, ont vu leur sujet de thèse ou leur futur poste réattribué à quelqu’un d’autre, ont été contraints d’envisager leur départ de l’établissement.

« Beaucoup de personnes ont peur des représailles » et cela fait le lit des harceleurs, qui plus est dans un milieu professionnel fermé, une spécialité médicale « rare » où tout le monde connait tout le monde. Ce climat ralentit voire empêche même le dépôt de plainte des victimes : « on a très peur pour notre avenir professionnel et que notre réputation soit aussi lourdement atteinte en cas de plainte et / ou médiatisation ».

Et pourtant, à Caen, les victimes n’ont pas gardé le silence. Elles ont alerté la médecine du travail à la fin de l’année 2021, ce qui a conduit l’Université et le CHU a diligenté des enquêtes administratives. À cette époque, le PU-PH, auteur des faits, a été suspendu de ses fonctions universitaires à titre conservatoire pendant au moins un an.

« ça fait déjà bientôt 5 mois que le signalement est envoyé aux plus hautes instances et la situation ne bouge pas »


Lorsque Jeunes Médecins est saisi en mars 2022, les ministères, l’Ordre des médecins, la Justice française ont déjà été informés des faits par le CHU et l’Université. Les victimes s’inquiètent de la lenteur des réactions : « ça fait déjà bientôt 5 mois que le signalement est envoyé aux plus hautes instances et la situation ne bouge pas ».

En avril 2022, nous avons demandé aux ministres de l’enseignement supérieur et de la santé de saisir la juridiction disciplinaire afin que le PU-PH soit également suspendu de ses fonctions hospitalières.

Cette inaction est incompréhensible et « irresponsable» car tout le temps où le harceleur n’est pas totalement empêché, les victimes continuent de souffrir et cela n'est pas sans effets sur le fonctionnement normal au service des patients. En effet, les institutions locales ne peuvent faire que du « bricolage » pour éviter la confrontation, sans pour autant sécuriser les victimes : on fait travailler les victimes les jours où l’auteur du harcèlement ne travaille pas (impactant ainsi leur pratique médicale), on propose même aux internes des changements de subdivisions. Faute de pouvoir agir sur les responsables, ce sont toujours les victimes qui doivent s’adapter, se mettre en retrait, faire des concessions, encore : « Si le Pr en question n’est pas sanctionné, je risque de devoir quitter mon CHU ce qui serait encore un préjudice ».

En septembre 2022, le CHU de Caen a annoncé que le PU-PH prenait 2 ans de disponibilité à compter du 1er octobre 2022.

« La majorité des victimes sont des femmes et jusque-là la plupart veulent temporiser […] de mon côté je ne veux pas porter plainte seule et porter la responsabilité de tout un collectif... »


Pour protéger personnellement les victimes et faire reconnaître leur préjudice, nous avons porté plainte il y a 9 mois, en tant que syndicat, pour le harcèlement moral et le harcèlement sexuel perpétué par ce PU-PH.

Il y a quelques jours, ce PU-PH a été enfin condamné par la chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins du Calvados à une interdiction d’exercer de 12 mois dont 9 avec sursis. Dans le même temps, il est malheureux de constater que notre saisine des ministres il y a deux ans n’a donné lieu à aucune suite ni sanction disciplinaire et notre saisine du procureur de la République n’a donné lieu à aucune suite ni sanction judiciaire.

Il faut rappeler qu’en mai 2022 dans son rapport sur le fonctionnement de la juridiction disciplinaire des HU, la Cour des comptes a préconisé d'autoriser, qu’en plus de la saisine ministérielle, la saisine directe de la juridiction par le directeur général du centre hospitalier universitaire et le président de l’université. Cette recommandation n’a pas été retenue par le Premier ministre « en raison du rôle important que doivent continuer à jouer les ministères de tutelle dans la préparation des dossiers transmis par les établissements aux fins de rendre plus efficace la saisine de la juridiction ».

À Caen, les internes et jeunes médecins ont vécu un enfer. Si cette recommandation avait été suivie, la situation aurait sans doute pu cesser plus rapidement.

Crédits image : Gerd Altmann (Pixabay).

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