Confinement : reculer pour mieux sauter n’est pas une stratégie !
Donnons aux régions les moyens d’agir…
20/04/2020
[TRIBUNE] Le Dr. Emanuel Loeb, président de Jeunes Médecins et psychiatre, plaide pour une décentralisation du dé-confinement, en mettant les régions au centre de la stratégie.
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A l’instar du reste de la planète, la France vient de subir de plein fouet la première vague épidémique liée au virus COVID-19. En raison d’une impréparation manifeste et d’un système de santé qui a montré ses limites pour freiner cette crise sanitaire, la technostructure française n’a pas su proposer de solutions efficientes à même de réduire les effets d’une telle vague contrairement à de nombreux pays du continent Asie-pacifique et de l’Allemagne. Il n’y a malheureusement qu’à compter le nombre de morts et le taux d’occupation de lits de réanimation pour s’en rendre compte.
Nous connaissons les formes cliniques, les facteurs de risque de mortalité et les modes de transmission
Devant la submersion de notre capacitaire hospitalier, seul un confinement de toute la population a permis de juguler cette première vague épidémique résultant d’une contamination silencieuse d’environ 10% de la population française sur la période de pré-confinement (Février-Mars 2020). Nous savions alors peu de choses sur le COVID-19. Aujourd’hui, la situation est différente : nous connaissons les formes cliniques, les facteurs de risque de mortalité et les modes de transmission. Nous avons également une estimation plus précise du R0, de sa variation selon les pays et les régions, et de l’impact que les mesures barrière et le port de masque par la population générale peuvent avoir sur sa variation(1) (2). Notre meilleure connaissance du virus et de la maladie nous permet actuellement d’envisager des mesures efficaces pour réduire l’ampleur de la première vague et prévenir la survenue de vagues ultérieures.
Qui meurt du COVID-19?
A ce jour, la contamination de patients considérés à risque a déjà entraîné la mort de près de 20 000 personnes en France, soit une mortalité estimée à 1,5% selon les chiffres officiels. Cette population représentant environ 20 millions de personnes, c’est donc s’acheminer vers un total de 300 000 morts liés directement à la maladie COVID-19 (sans compter la mortalité indirecte liée à la saturation des capacités de prise en charge de notre système de soins).
On sait aujourd’hui qui décède du COVID-19 en France.
• La moyenne d’âge des décès est de 81 ans. 90% des décès concernent des personnes de plus de 65 ans. Les personnes entre 65 et 75 ans ont une probabilité de décès suite à une infection par le SARS-CoV-2 quarante fois plus élevée que leurs cadets qui ont entre 45 et 55 ans (données Santé Publique France).
• Moins de 10% des patients en réanimation ont un IMC < 25 kg/m². (3)
• Dans le même temps, toutes les régions en France n’ont pas été touchées dans des proportions équivalentes.
• Rappelons qu’à ce jour aucun traitement médicamenteux n’a démontré une efficacité documentée et certaine pour prévenir l’évolution d’une forme asymptomatique ou pauci-symptomatique vers une forme sévère (malgré nos encouragements à débuter précocement des essais cliniques en ambulatoire) et que l’éventualité d’une stratégie vaccinale n’est pas attendue dans un futur proche.
Après le 11 mai, accompagner et protéger les populations fragiles
Le confinement va être levé progressivement à partir du 11 mai. Le virus va à nouveau circuler dans la population, en particulier lorsque les lieux sociaux vont être ouverts (travaux de simulation de PHE, du London Imperial College et de Harvard). Si l’on ne se donne pas les moyens d’accompagner et de protéger les populations fragiles (car présentant des facteurs de risque connus, en particulier âge > 65 ans et IMC > 30 kg/m²) pendant la période transitoire de constitution de l’immunité collective, on s’expose au risque de survenue de plus de 230 000 décès sur une courte durée de temps. L’apparition rapide d’une nouvelle vague épidémique entraînera à nouveau un dépassement large des capacités d’accueil de nos services de réanimation et constituera un obstacle réel pour pouvoir reconstituer les stocks de médicaments dans les hôpitaux (anesthésiants, curare, antibiotiques…).
Ainsi, sans une stratégie séquencée et hiérarchisée de dé-confinement, le gouvernement n’aura d’autre choix que de confiner à nouveau la population entière car la deuxième vague sera inévitable et probablement bien plus dévastatrice. Ce sera un drame sanitaire, économique et social, sans aucune porte de sortie car empêchant toute constitution d’une immunité de groupe : en résumé, la « stratégie de reculer pour mieux sauter ». Il nous faut donc une stratégie courageuse et transparente qui vise à protéger les plus vulnérables ! L’attention du Président de la République et de son gouvernement devrait porter sur ce point précis.
Donner aux régions l'autorité pour organiser leur stratégie de déconfinement
Adapter les stratégies de dé-confinement en fonction du taux de contamination d’une région, de ses capacités à endiguer l’épidémie ainsi que de la composition sociodémographique de sa population paraît ainsi la solution la plus efficiente. D’autant plus que la région de part son enracinement territorial et son ancrage populationnel est probablement l’acteur permettant une démocratie sanitaire la plus compréhensible et acceptée de toutes et tous. Sortons d’une vision centralisatrice qui, surtout face à des épidémies de ce type, paraît peu adaptée et peu agile. Cela veut donc dire de donner aux Régions, en lien avec les préfectures, l’autorité pour organiser leur stratégie de dé-confinement, l’Etat s’adaptant aux besoins et stratégies des régions. Nous pouvons tirer des leçons à ce sujet d’une autre pandémie – celle de la grippe espagnole – où les deuxièmes vagues étaient différentes selon les villes américaines : leur survenue dépendait des mesures de santé publique instaurées localement. (4)
Ainsi, chaque région, en fonction de sa situation épidémique, économique et sociologique, pourrait se saisir et mettre en œuvre les préconisations suivantes pour une levée progressive du confinement:
• Mise en place d’une cellule de crise régionale permettant des échanges permanents entre le Conseil Régional, l’ARS (dont le bureau de la CRSA au service de la stratégie régionale), l’URPS et toutes les représentations hospitaliers
• Etablir un maillage de centres de surveillance épidémiologiques régionaux les plus à même d’alerter en cas de résurgence d’un foyer épidémique
• Testing massif et répété de toute personne présentant une symptomatologie potentiellement liée au COVID-19, notamment par la mise en place de drives en nombre suffisant
• Re-confinement de la région en cas de résurgence de l’épidémie
• Dé-confinement en protégeant les populations vulnérables
• Mise à disposition des personnes confinées d’une plateforme de soutien psychologique pour prévenir et accompagner toute situation de détresse psychique liée au confinement
• Confinement des personnes vulnérables qui le souhaitent dans des aires dédiées identifiées par la région
• Heures réservées aux personnes vulnérables dans les magasins
• Testing des familles avant tout contact avec leurs aînés
• Testing systématique et répété (sérologies puis PCR répétées si sérologie négative) des personnels soignants et des personnels des EPHAD et aides à domicile
• Information des personnes à risque pour acceptation de la mesure et responsabilisation
• Sérologie à la demande pour dé-confiner les personnes vulnérables immunisées
• Mise en place d’un service d’aide à la personne, notamment via le service civique, permettant de lutter contre l’isolement social dans ce contexte de confinement
(1) High contagiousness and rapid spread of severe acute respiratory syndrome coronavirus 2. Sanche S et al. Emerg Infect Dis. April 7, 2020.
(2) Face Masks Against COVID-19: An Evidence Review. Jeremy Howard et al.
(3) High prevalence of obesity in severe acute respiratory syndrome coronavirus-2 (SARS-CoV-2) requiring invasive mechanical ventilation.
(4) Nonpharmaceutical interventions implemented by US cities during the 1918-1919 influenza pandemic. Markel H et al. JAMA. 2007 Aug 8;298(6):644-54.
Par le Dr. Emanuel Loeb, président de Jeunes Médecins et psychiatre
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